Entrepreneuriat au féminin, rencontre avec Sophie Peccoux (P16)

Alors que les questions de féminisation et de développement durable sont les deux grands axes de développement de la Campagne 2021-2026, retour sur un projet entrepreneurial au féminin visant la prise de responsabilité du consommateur.

Peux-tu te présenter ? Quel a été ton parcours dans l’Ecole ?
Je suis Sophie Peccoux, P16. J’ai fait une voie classique aux Mines et je me suis spécialisée en Entrepreneuriat & Innovation dès la 2e année. Je voulais rester sur du généraliste pour voir autre chose. L’entrepreneuriat me permet de garder ce côté touche-à-tout.

Ma césure après la 2e année était l’occasion de confirmer cette appétence pour le monde de l’innovation avant de me lancer. J’ai commencé par 6 mois dans une start-up à Singapour. Le produit existait mais il fallait aller chercher le client, on était sur la phase de croissance donc beaucoup d’apprentissage, complémentaire avec ma formation aux Mines. Cette expérience m’a plu mais l’innovation ne se fait pas qu’en start-up. J’ai donc rejoint ING dans leur incubateur d’entreprises à Amsterdam. La vocation de l’incubateur était de développer de nouveaux produits intégrés au business d’ING. Je travaillais sur les assets digitaux. On était dans une phase différente du projet par rapport à Singapour. Le produit n’existait pas donc on était vraiment dans la phase d’exploration, de définition et de construction. Ce stage résonnait beaucoup avec ce que j’avais pu voir en cours d’Innovation & Entrepreneuriat avec Philippe Mustar, car je me concentrais sur la création de produit. Les environnements de ces deux stages étaient très différents, il y a vraiment des avantages du côté start-up comme du côté corporate.

Je suis revenue en 3e année aux Mines en septembre 2019 et j’ai continué mon option. J’avais aussi des cours plus génériques, propres au tronc commun, dont le droit ou la comptabilité. Je suis ensuite partie en stage de fin d’études parce que j’avais des opportunités à explorer. J’ai rejoint l’équipe de Management de l’Innovation à la Thalès Digital Factory, un incubateur interne pour accélérer la transformation digitale du groupe. Je me focalisais sur les nouveaux produits digitaux avec toute la méthodologie agile de sprint design que j’avais pu étudier. Cette fois-ci, ma position était différente. Dans mes précédentes expériences, j’étais intégrée à un projet spécifique. Chez Thalès, j’étais une « ressource partagée » pour les différents projets avec un aspect management et une grande polyvalence.
Le stage était intéressant mais j’ai réalisé que j’avais besoin d’être plus dans l’action, plus proche du produit. Je construisais des plans d’actions et donnais des conseils mais je n’exécutais pas. J’avais envie de réellement faire les choses. C’est aussi une manière d’apprendre : faire des erreurs, réagir, expérimenter et monter en compétence.
En travaillant à Paris, avec une carte Ticket Restaurant, je me suis mise à consommer des plats à emporter pour profiter du déjeuner avec mes collègues en période covid. Commander à emporter ou en livraison n’était pas un mode de consommation que j’avais auparavant. Au fur et à mesure, je voyais des piles de déchets s’accumuler dont je ne savais quoi faire entre poubelle et recyclage. Je me suis posé beaucoup de questions sur ce problème, et j’ai décidé de me pencher sur le marché. Je me suis rendue compte qu’il n’y avait pas encore une solution qui semblait s’imposer, les alternatives existantes reposant sur un modèle de consigne classique. Cependant, la consigne ne permet pas de répondre à tous les enjeux environnementaux, logistiques et économiques. Et alors même que je me disais que j’avais encore beaucoup de choses à apprendre avant de me lancer, je sentais qu’il y avait quelque chose à faire. J’ai décidé de creuser l’idée.

DereChef n’est pas une solution d’emballage. Notre objectif est d’encourager les consommateurs à venir avec leurs propres contenants en restaurant. On encourage la démarche en construisant un réseau de restaurants qui acceptent de remplir les contenants réutilisables et en montrant que c’est une solution gagnante pour tout le monde. On explique aux restaurateurs pourquoi ils ont intérêt à promouvoir la démarche, grâce à des gains financiers (logistique, coût, marketing…) et environnementaux. L’économie d’emballage réalisée est transformée en offre pour le consommateur le restaurateur réinvestit donc son économie en fidélisation client. Du côté du consommateur, on considère que c’est un geste simple, même si les nouveaux modes de consommation ont fait de nous des « flemmards » (on est livré devant notre porte, on ne fait pas la vaisselle…). L’idée est de montrer à toutes les parties prenantes qu’elles ont tout à gagner à passer au réutilisable avec le modèle DereChef.

Souvent quand on veut faire quelque chose de durable, de responsable, c’est difficile de trouver une opportunité économique qui corresponde. Ce qui est intéressant avec les emballages, c’est que leur coût est déjà tellement significatif que l’intérêt économique est tout trouvé.

En septembre 2020, je me suis décidée à creuser le sujet pendant quelques semaines. A ce moment, je n’avais pas encore d’idée de solution. Mais le problème était clair et les alternatives actuelles sous forme de consigne coûtent souvent plus cher que les emballages jetables pour des contraintes logistiques supplémentaires. Une façon pour moi de simplifier le processus était de décentraliser le geste au niveau du consommateur. Cela s’aligne avec mes convictions personnelles qu’il est à la charge de chaque individu de prendre ses responsabilités et d’agir pour demain.

Grâce à Philippe Mustar, j’ai découvert PSL Pépites : pôle étudiant entrepreneure de PSL. J’ai été acceptée dans le cursus, ce qui me permettait d’avoir le statut d’étudiant entrepreneur pendant un an. C’était une belle opportunité : je pouvais mûrir mes idées en étant accompagnée, avec des locaux, et des ressources. Cela m’a aussi ouvert les portes de programmes internes. J’ai candidaté puis intégré un programme à Station F de novembre à fin avril, subventionné par la région Ile-de-France et accompagné par le startup studio Schoolab. Cette expérience a beaucoup fait avancer le projet car le rythme nous poussait à fixer des exigences ambitieuses et les projets très avancés dans le programme me tirait vers le haut. Ces différents niveaux de développement permettent d’apprendre des expériences des autres. Fin avril 2021, j’avais donc lancé ma plateforme digitale, développé un réseau de restaurants partenaires et construit un kit réutilisable physique pour équiper les clients. Le consommateur qui amène son contenant au restaurant peut avoir accès à des offres en étant abonné Derechef. Aujourd’hui, avec les offres actuelles sur le site, l’abonnement est rentable dès qu’on utilise la plateforme une fois par semaine.

Est-ce que tu travailles en équipe ? Comment a évolué la structure ?

Mon père a décidé de se joindre à l’aventure à la fin de l’année dernière pour accompagner le développement stratégique et financier de DereChef. Depuis mars, grâce à la Fondation Mines ParisTech, nous avons deux stagiaires*. Ils nous accompagnent sur le développement commercial et technique.

Je me suis lancée seule, malgré la difficulté que cela peut représenter. Ne plus être seule aujourd’hui est rassurant et le fait d’avoir une équipe, de travailler avec mon père, c’est motivant au quotidien. Nous cherchons à valider notre concept à grande échelle avant de prévoir un recrutement plus important.

Tu es diplômée mais tu continues à être encadrée par Philippe Mustar et a développé ton projet dans le cadre de PSL et des Mines, comment cela s’organise ?

Je suis étudiante entrepreneur jusqu’en septembre 2021 donc j’ai ce lien avec PSL. Avec Philippe Mustar, nous avons toujours été en contact direct par rapport au projet surtout en termes d’accompagnement, de visibilité, de communication, de financement par rapport à l’Ecole.

Quand tu as commencé ta première année aux Mines, tu pensais à l’entrepreneuriat ou c’est arrivé pendant les études ?

Aux Mines en janvier de 3e année, on a la possibilité de créer notre entreprise lors du stage obligatoire, j’avais pris le mois pour travailler sur un projet personnel qui n’était pas Derechef mais s’appuyait déjà sur une stratégie DIY : simplifier l’accès à la connaissance et la ressource pour faire des produits soi-même. Cela m’intéressait parce que j’ai pas mal de modèle d’entrepreneuriat autour de moi, donc ça me paraissait naturel.

Après, l’entrepreneuriat c’est un défi et des risques. Avec Derechef, on est sur un nouveau modèle donc même si on a aujourd’hui des éléments de validation, il y a des milliers de raisons pour lesquelles ça peut fonctionner et des milliers de raison pour lesquelles ça peut ne pas fonctionner. Même si on fait tout correctement, on ne sait pas si notre modèle est le bon car on a fait un saut dans le vide.

En particulier, nous responsabilisons l’individu. C’est un choix assumé, en accord avec nos valeurs. Cependant, les consommateurs ne sont peut-être pas encore suffisamment sensibilisés au développement durable, ou l’urgence environnementale pas assez menaçante. C’est aussi une question de temporalité : nous sommes persuadés qu’il faut agir maintenant, et espérons que les consommateurs ont ce même sentiment d’urgence. L’objectif sur le long terme est de provoquer un changement au niveau des mentalités et d’insérer des gestes écologiques dans la vie de tous les jours. Il faut susciter le geste et la prise de conscience du consommateur de sa capacité d’action.

Publié le 1 septembre 2021

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