Portraits de Mineurs : Jean-Michel Cazes

Fondée en 1783, l’Ecole des Mines de Paris a formé des générations d’ingénieurs. A travers le temps, elle a su adapter ses enseignements aux besoins technologiques de son époque à l’évolution de la société.
Mais une école c’est aussi des élèves et leurs parcours. Nous vous proposons une série de portraits en allant à la rencontre de Mineurs, de différentes générations.
Nous commençons notre série avec un portrait de Jean-Michel Cazes P56 et figure majeur du vignoble bordelais.

Vous avez intégré l’Ecole des Mines en 1956 avec quel objectif après votre diplôme ?

Quand j’ai intégré les Mines, je ne savais pas trop ce que j’allais faire mais je me suis vite intéressé à la géologie. Nous avions un très bon professeur qui s’appelait Jean Goguel. Il était alors directeur de la Carte Géologique de France. A l’époque l’industrie pétrolière était en plein essor. Je me suis orienté vers la recherche pétrolière. A la fin des trois ans, je suis parti poursuivre mes études aux Etats-Unis, avec deux autres camarades. Nous avions postulé dans des universités différentes et j’ai atterri au Texas. Compte tenu de mon orientation professionnelle, c’était l’endroit où aller. Quand je suis revenu en France, notre pays était engagé dans la guerre d’Algérie. Comme tous mes contemporains, j’ai passé deux ans sous les drapeaux. J’ai rejoint l’Armée de l’Air et j’ai eu la chance d’être affecté à Paris dans le Service de la Recherche Opérationnelle, boulevard Victor à Paris. J’ai participé au démarrage des premiers ordinateurs que l’Armée de l’Air installait alors dans ses services et j’ai découvert l’informatique. Quand j’ai repris la vie civile, j’ai cherché du travail dans le secteur du pétrole. Sans succès. Après les accords d’Évian de 1962, le recrutement pour les champs pétroliers français avait brusquement cessé. Mais l’armée m’avait donné un métier : j’avais passé deux ans à programmer des machines IBM et « Big Blue » m’a reçu à bras ouverts. J’y suis donc entré, un peu par hasard.

Comme j’avais un peu d’expérience, j’ai échappé aux deux mois de formation initiale, obligatoires pour les nouveaux recrutés. On m’a proposé de remplacer cette période par un séjour au laboratoire de développement de La Gaude, près de Nice. Ce qui m’a valu de passer trois mois sur la Côte d’Azur et de participer au développement des premiers logiciels de transmission de données. Quand j’ai réintégré les services commerciaux, j’avais un peu d’avance sur le plan technique par rapport aux ingénieurs que je rejoignais à Paris, et j’ai été appelé à m’occuper de clients importants de la compagnie. J’y ai passé 10 ans.

Après avoir travaillé dans l’informatique, vous avez souhaité revenir à l’exploitation viticole familiale ?

Oui, mais ça ne m’était pas venu à l’idée jusque-là. L’industrie du vin était en crise depuis la fin du XIXème siècle, d’abord à cause du phylloxera, puis de la dépression économique des années 1930. Pendant mon enfance et ma jeunesse, jusque dans les années 60, le vin rapportait peu et beaucoup de jeunes cherchaient à quitter la région. J’avais fait mes études à Bordeaux, puis à Paris et aux États-Unis. Je vivais à Paris au moment des événements de mai 1968 et travaillais alors chez IBM. À la fin des années 60, l’économie viticole a repris lentement des couleurs pendant que la qualité des vins faisait des progrès. En 1971, mon père, qui gagnait sa vie comme agent d’assurances, me dit un jour que le moment était peut-être venu de vendre les vignes de la famille. Il avait trop de choses à gérer en même temps et le vignoble avait enfin pris un peu de valeur. De mon côté, je pensais que nous pourrions conserver notre propriété si je revenais en Médoc lui apporter de l’aide. Nous avons réfléchi ensemble à la question pendant quelques temps.

J’ai finalement pris ma décision en 1973 et j’ai commencé une nouvelle vie professionnelle à 38 ans. Avec mon père, nous avons entrepris de moderniser notre exploitation viticole. Mais à la fin d’année, après le choc pétrolier de septembre 1973, les taux d’intérêt sont passés brusquement à 20% et plus. C’était la panique à bord. Nous avons eu des moments très difficiles pendant plusieurs années. L’horizon s’est éclairci à partir de 1980. L’ouverture des marchés internationaux, européens et américain d’abord, puis asiatiques, a aidé à la diffusion mondiale des vins de Bordeaux. Ce qui m’a permis de parcourir le monde.

Nos installations dataient de 1866. Elles étaient inadaptées aux méthodes modernes issues des progrès de la science œnologique. Nous avons lancé un programme de rénovation dont la réalisation s’est étalée sur une vingtaine d’années. Dans la vigne, nous contrôlons aujourd’hui beaucoup mieux la maturation des raisins et nos récoltes sont plus homogènes. La qualité des vins s’est beaucoup améliorée et surtout, elle est devenue plus régulière.

En quoi votre formation d’ingénieur vous a-t-elle aidé pour développer votre entreprise ?

Ce n’est pas boulevard Saint-Michel que j’ai appris à faire le vin. Mais ma formation m’a donné une méthode de travail et un état d’esprit. J’essaie d’appréhender les problèmes de façon logique. Il est important de pouvoir échanger avec des scientifiques et de comprendre leurs préoccupations. Pour cela, je dois beaucoup à mon éducation de l’Ecole des Mines. Connaître un peu de géologie m’a aussi aidé. C’est une science qui s’inscrit dans le temps long et enseigne à mettre les choses en perspective.

Pendant ma scolarité, j’ai plusieurs fois visité les houillères en France et en Angleterre et j’ai fait deux stages industriels qui m’ont été utiles et m’ont marqué : le premier aux usines Renault de Billancourt et un autre chez Usinor à l’aciérie de Montataire. Chez Renault on m’a confié sur un tour… J’étais très maladroit mais je fus bien accueilli par les ouvriers qui, eux, faisaient preuve d’une grande habileté et se sont montrés d’une grande indulgence à mon égard. Mon séjour à Montataire m’a montré qu’il existait des métiers que je n’avais aucune envie d’exercer. J’y ai découvert ce qu’était l’industrie lourde. Ce n’était pas ma vocation.

J’ai entendu parlé d’un voyage de la P56, organisé à Bordeaux par vos soins. Quel lien gardez-vous avec l’Ecole des Mines et votre promotion ?

Quand je suis me suis installé à la Maison des Mines, après trois ans de taupe et de pensionnat un peu plus bas dans la rue Saint-Jacques, j’y ai trouvé la liberté. À l’École, en première année, j’ai décompressé et ne fus pas – et de très loin – un des meilleurs élèves. En deuxième année, je me suis intéressé à la géologie et ça s’est mieux passé.

Je garde un très bon souvenir de l’École et de la vie que nous menions à la Maison des Mines. Celle-ci est proche du Boulevard Saint Michel où avaient lieu les cours. Nous nous y rendions parfois en passant simplement un imperméable par-dessus le pyjama. Nos professeurs étaient remarquables et nous avions des relations amicales avec la plupart d’entre eux. Nous n’étions pas très nombreux. À 55 élèves par promotion, il est plus facile de bien se connaître. Nous sommes restés en contact. Notre délégué de promotion, Jean-Louis Andreu, aidé par son épouse, a toujours fait des efforts pour que nos liens ne se disloquent pas. Nous nous sommes souvent rencontrés en région parisienne, plus rarement en province. Malgré les années qui passent, les parcours différents et les distances qui nous séparent aujourd’hui, nos relations n’ont cessé d’être chaleureuses et nous avons toujours pris beaucoup de plaisir à nous retrouver. Mes copains de la promo 1956 sont venus deux ou trois fois vendanger à Pauillac et j’ai gardé de ces expéditions quelques photos sympathiques. En 2016, j’ai pu me faire prêter la maison des Questeurs du Sénat, voisine de l’école sur le boulevard Saint-Michel. Nous y avons fait un déjeuner très animé avant d’aller tous ensemble re-visiter la collection de cristallographie de l’Ecole. Nous avons constaté avec plaisir que les choses n’avaient guère changé.

Publié le 24 novembre 2020

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