Au gré du van
Achille Bertucat (IC P22) a profité de sa césure pour expérimenter un mode de vie plus sobre en énergie en partant plusieurs mois en itinérance. Entre pannes, météo capricieuse et entraide, il a tiré de cette expérience des enseignements précieux.
Pouvez-vous vous présenter ? Quel a été votre parcours à l’École ?
Je m’appelle Achille Bertucat, actuellement élève en 3A du cycle IC. Je suis l’option Ingénierie des systèmes énergétiques comme spécialisation de master.
Pendant ma césure, après un stage dans les infrastructures électriques au sein d’un grand groupe, j’ai voulu vivre une autre expérience, une sorte d’aventure personnelle avec en fond toute une réflexion sur les enjeux d’énergie contemporains.
Pouvez-vous nous décrire votre projet ? Qu’est-ce qui vous a motivé à le lancer ?
Pour cela, j’ai aménagé un van, un petit Renault trafic de 2013 avec lequel je suis parti en itinérance sur les routes d’Europe. J’ai toujours été un grand adepte de la sobriété, et avec ce périple, je voulais en déterminer les limites. En ville, nous avons presque tout à portée de main, l’électricité, l’eau courante, le gaz, presque à profusion si ce n’est que la limite devient un argument financier. J’ai donc réalisé un aménagement sommaire, priorisant l’isolation thermique et ajoutant quelques meubles construits avec des planches de bois trouvées dans mon garage. J’ai voulu récupérer plutôt que d’acheter, pour un résultat similaire. Mes équipements étaient tout aussi simples : une batterie de 500 Wh et un panneau solaire de 110 W pour être indépendant en électricité, un réchaud à gaz de camping pour la cuisine. Je n’ai pas pris de réfrigérateur ou de chauffage pour une question de dimensionnement du système électrique ou simplement de place. Enlevons du confort ! Avec ce manque d’accessoires je voulais voir ce qui allait me manquer le plus, distinguer le nécessaire et le superflu.
Pouvez-vous nous décrire le parcours de votre voyage ? Comment l’aviez-vous choisi ? Avez-vous pu le suivre ?
J’ai voulu faire un tour d’Europe, de manière un peu trop ambitieuse, en commençant par la péninsule ibérique puis les Balkans et l’Europe de l’Est. J’avais choisi ces destinations pour les communautés et les modes de vies qu’elles hébergent. La météo était aussi un facteur décisif pour éviter les climats extrêmes et tenter de rester dans les zones douces. Je ne m’étais pas rendu compte à première vue de la longueur du trajet que j’ai finalement grandement écourté. J’ai aussi pris du retard dans mon planning avec des pannes mécaniques en Espagne et, arrivé en Slovénie, j’ai choisi de faire demi-tour, d’abandonner les Balkans pour prendre plus de temps en France.
Quels enseignements tirez-vous de votre projet ?
J’ai commencé mon voyage en mars et l’ai fini en septembre. Tout ce temps j’ai connu le froid intense, recroquevillé dans mon duvet 0°, puis les canicules andalouses. Les journées interminables de pluie ou la sécheresse. En quelque sorte, je me suis mis à la merci de mon environnement et ses caprices, mais je savourais d’autant plus les petits plaisirs ; un repas chaud en hiver, l’ombre d’un arbre en été. Je me suis rendu compte à quel point les ressources sont précieuses. Par exemple, la météo m’a empêché de recharger mes batteries avec mes panneaux solaires pendant deux semaines, je me retrouvais alors à rationner l’électricité par-ci, l’eau par là. Je n’avais pas de surplus, seulement des marges de sécurité que je prenais soin de ne pas dépasser, mais ce n’est pas évident. Plus d’une fois j’ai dû demander de l’aide à l’extérieur, et j’en ai donné tout autant. C’est une des belles choses que m’a montré ce voyage, la solidarité des gens, qui rend toute entreprise plus facile et agréable. Je me dois aussi de parler des communautés qui m’ont accueilli, en particulier une ferme au Portugal où je suis resté deux semaines. Dans ce projet plus sédentaire que mes habitudes, j’ai apporté mes connaissances énergétiques pour refaire le système électrique, poser de nouveaux panneaux solaires. J’aime beaucoup le fait de devoir se pencher sur un projet en particulier, et j’y vois là le rôle des ingénieurs pour les futures générations. Chaque système a ses spécificités, il serait dommage de seulement proposer des solutions générales. Dans cette ferme, les panneaux solaires produisaient beaucoup trop d’énergie en journée, et elle était perdue par manque de stockage. Il y avait également un manque d’eau pour l’irrigation des cultures. Je n’invente pas l’eau chaude (sens propre et figuré) mais les deux problèmes trouvaient une solution commune dans le stockage gravitaire de l’électricité via des réservoirs d’eau en haut des collines. J’y vois presque une forme d’art dans ce bricolage peu rassurant, une manière aussi de prolonger la vie des batteries de voitures.
Quelles sont les prochaines étapes après votre retour ?
Le retour à une vie plus normale s’est plutôt bien passé. Je profite désormais du luxe d’une douche ou d’une cuisine. Je suis beaucoup plus attentif aux ordres de grandeur de nos consommations, et essaie de sensibiliser autour de moi à ce sujet. Je n’y avais pas forcément réfléchi avant le voyage et raisonne désormais avec comme unité de mesure la charge complète d’un téléphone (la consommation moyenne d’électricité journalière du périple). Un téléphone, 6 étages en ascenseur ou 6 heures avec un éclairage LED consomment autant. Faire bouillir 1L d’eau revient à 6 ou 10 téléphones. Pourtant nous faisons ces différents gestes avec la même simplicité, sans forcément y penser. Maintenant j’y pense, et je me demande souvent avant de faire quelque chose : est-ce que ça vaut le coup ?
Par ailleurs je compte projeter un film sur ce voyage et continuer d’en parler autour de moi. Mon plus grand succès serait de voir des gens inspirés par cette histoire et de les voir faire un premier pas, toujours le plus compliqué, d’oser voir ailleurs.
En quoi le soutien de la Fondation a-t-il été déterminant pour la réalisation de votre projet ?
Il y a bien sur l’aspect financier, pour lequel la Fondation m’a beaucoup apporté, surtout avec les problèmes de mécaniques vite onéreux. J’y vois aussi une démarche moins matérialiste : le support de la Fondation dans ce projet m’a convaincu de sa légitimité. Je suis heureux de pouvoir compter sur eux aujourd’hui pour m’aider à porter mon message, avec l’enthousiasme qui leur est propre. C’est une manière de me rendre compte que mon témoignage n’est pas si ridicule. Grâce à eux je vois tout un tas d’autres projets se mettre en place, et cela me ravit d’apporter ma pierre à l’édifice, d’avoir une visibilité et de montrer ce que les élèves de l’école peuvent entreprendre en parallèle de leurs études académiques.



